Les inondations et l’école, avec Hervé – 1/2

[Deux alliés investis dans la Dynamique Ecole ont été concernés par les inondations qui ont durement frappé la région liégeoise cet été. Cet article fait écho à l’interview réalisée en octobre 2021 et publiée dans la revue Partenaire 119 – Décembre à février, p. 8]

Professeur dans une école secondaire d’enseignement spécialisé dans la région de Verviers, Hervé Servais, s’est engagé depuis maintenant trois ans avec la Dynamique École d’ATD Quart Monde Jeunesse. Suite à une discussion sur ATD Quart Monde avec un collègue, il rencontre des familles en animant des enfants lors de plusieurs réunions de la cellule de Verviers. C’est là que Colette Januth lui parle du projet « Nos ambitions pour l’école » et qu’il décide de participer activement au groupe de travail sur l’école.

Dans son école, la majorité des élèves vient des milieux précarisés. Beaucoup de ces élèves sont placés et internes au Service Résidentiel des Jeunes (SRJ) qui se trouve juste à côté de son école. Certains élèves y sont donc malheureusement inscrits plus par facilité d’organisation (proximité, transport) que par un réel choix d’orientation. Cela impacte leur projet de vie et peut créer des problèmes de démotivation et de discipline en classe. Malgré cela, les élèves ont la chance d’être entourés par une équipe pédagogique motivée qui met les élèves au centre de leurs préoccupations.

Les inondations de juillet 2021

Hervé habite sur les hauteurs de Verviers qui ont été plus ou moins épargnées mais il a vite remarqué la gravité de la catastrophe, surtout dans le centre-ville et dans les quartiers déjà précarisés le long de la Vesdre. Deux de ses collègues étaient complètement sinistrés ainsi que plusieurs familles de leurs élèves. Grâce au bouche à oreille, malgré les vacances, une partie des membres de l’équipe de professeurs s’est mobilisée en fonction de ce que chacun·e pouvait faire. Il y a eu un grand élan de solidarité dès les premiers jours qui s’est traduit par des distributions de repas, des collectes de dons et le transport entre les personnes sinistrées et les centres de dons. Du soutien administratif a également été apporté à certaines familles qui avaient perdu tous les documents et qui devaient recommencer les démarches à zéro.

Des écoles du centre de Verviers ont été sérieusement touchées par les inondations. L’important, c’était que ces écoles puissent ouvrir à la rentrée car dans ces quartiers déjà très populaires, sans école, ça aurait été une nouvelle catastrophe pour les enfants et les familles.

Certains enseignants qui se sont davantage impliqués dans le soutien des familles ont vraiment pris conscience du quotidien vécu par des familles qui vivent en situation de pauvreté. Même si le corps professoral est confronté à ces réalités et intervient par exemple en organisant chaque année des dressings ou des dons de fardes scolaires, il y a une tendance à ne pas aller plus loin dans la connaissance. Hervé Servais l’admet simplement.

« L’équipe devrait connaître ces situations là mais par facilité ou simplement par ignorance entre milieux culturels très distants, nous avons encore trop tendance à restigmatiser la famille comme responsable de ce qui lui arrive. C’est banal de voir cette pauvreté mais on ne va pas plus loin dans la réflexion. Peut-être qu’on devrait être plus choqué. Être actif à ATD m’a ouvert les yeux »

Le retour à l’école

La rentrée scolaire s’est passée normalement dans l’école d’Hervé. A l’initiative de l’école, les enfants des familles sinistrées ont pu bénéficier, en toute discrétion, de tout l’équipement et le matériel scolaire nécessaire ainsi que de la prise en charge des frais scolaires. Cela le questionne car cela veut dire « qu’avec un peu d’organisation et de volonté, il y aurait moyen de le faire tout le temps » et que l’école pourrait donc organiser la gratuité scolaire chaque année. Cela pourrait être un véritable objectif dans le futur.

Au niveau psychologique, il n’y a pas eu de lieu et de personne dédiés à cela dans l’école. Cependant, les professeurs sont à l’écoute de ceux qui viennent en parler de façon individuelle. Par exemple, « un élève est venu me voir et j’ai compris que c’est lui qui discute avec les experts et pas les parents. Il y a des choses qu’il ne maitrise pas donc ça pose problème. Donc je me demande si quelque chose doit mieux exister pour que ce ne soit pas les élèves qui gèrent ça. »

« Le gros stress pour les enfants sinistrés, c’est que certains ne savent pas où ils vont être et pour ceux qui sont dans leur maison, c’est bientôt l’hiver et il n’y a pas de gaz. Quand il y a un orage ou une forte pluie, le stress revient vite, il y a des angoisses. »

Les quartiers populaires de Verviers

Hervé nous explique que même si à certains endroits des personnes aisées ont été touchées, à Verviers, ce sont principalement les quartiers populaires, ainsi que les rues commerçantes du centre-ville, autour de la Vesdre qui ont été victimes des inondations. La vallée de la Vesdre est très étroite et autour de la rivière, ce sont surtout des quartiers de maisons ouvrières où il n’y a presque plus rien, plus de médecins, ni de pharmacies, quelques épiceries tenues par des personnes d’origine étrangère. Il y a beaucoup de nationalités et d’immigration. A Verviers, on voit la pauvreté toute culture confondue. Il n’y a donc plus de commerce de proximité et de première nécessité au centre-ville, et les habitants n’ont pas ou plus de voiture…

Dès qu’on s’écarte de la Vesdre, on a les beaux petits villages et les villas quatre façades. Une série de commerces quittent le centre-ville pour aller s’installer sur les hauteurs, même une certaine classe moyenne ne veut plus vivre dans le centre. Ce sont deux mondes qui ne se croisent quasi pas. Ils ne vont pas dans les mêmes écoles non plus. Les images des JT ne rendent pas compte de ça, mais à Verviers, c’était les familles les plus pauvres et d’origine étrangère qui ont été victimes des inondations.

Derrière l’élan de solidarité

Hervé Servais a été marqué par l’énorme solidarité qui s’est très vite mise en place, mais qui n’a duré qu’un gros mois. Pour lui, « c’est une solidarité liée à une catastrophe mais pas aux habitants. C’est la catastrophe qui crée l’élan mais la pauvreté était déjà là », même si aujourd’hui encore des bénévoles et des volontaires sont toujours actifs. Il se demande si l’aide du gouvernement serait arrivée plus vite si les inondations avaient touché les habitations des personnes plus riches qui habitent sur les belles collines. Il se demande aussi pourquoi il faut une catastrophe pour être solidaire.

Il déplore aussi le temps nécessaire pour redémarrer une vie normale ainsi que les manques de structures de soutien : « Est-ce que tout le monde peut se défendre de la même façon, réagir, trouver des solutions ? Il n’y a pas forcément de réseau solidaire autour de toutes les familles, notamment celles qui sont les plus isolées. ». Il existe pourtant à Verviers, un tissus associatif important, mais plusieurs associations ont aussi vu leurs locaux être ravagés par les inondations…

Propos recueillis par Arnaud Groessens et Anne-Elisabeth Lesne